GÖREME AND SAHINEFENDI, sous la direction de Andrea Bixio, Roberto Bixio et Andrea De Pascale
GÖREME AND SAHINEFENDI. La Storia dentro le Rocce di Cappadocia / History inside the Rocks of Cappadocia
Sous la direction de Andrea Bixio, Roberto Bixio et Andrea De Pascale, Acces Archaeology, Archeopress, Oxford, 2023, 862 p.
Ouvrage intégralement bilingue italien / anglais. Disponible sur www.archaeopress.com - Version Pdf gratuite pour un usage personnel.
Une somme, remarquable par sa taille, sa richesse et sa qualité… C'est ce qui qualifie le mieux le nouvel ouvrage publié sous la direction de notre ami Roberto Bixio et de Andrea Bixio et Andrea De Pascale, qui explorent et étudient sans relâche, depuis plus de trente ans, le patrimoine souterrain creusé de la Cappadoce. L'occasion de regrouper dans un livre d'un peu plus de 850 pages, richement illustré par de belles photographies, de nombreuses cartes et de multiples plans et dessins d'architecture, l'ensemble des connaissances qu'ils ont pu acquérir sur le patrimoine souterrain creusé des régions de Göreme et Sahinefendi, déjà mondialement connues pour leurs églises troglodytiques dont certaines sont inscrites au patrimoine mondial de l'humanité.
Après une introduction mettant en perspective toutes les recherches menées en Cappadoce, depuis celles de Guillaume de Jerphanion jusqu‘aux leurs, ainsi que les nombreuses collaborations internationales qui les ont jalonnées, nos collègues italiens décrivent l'ensemble des structures creusées, dont les fameuses villes souterraines et leur organisation défensive. Puis ils consacrent le dernier chapitre de cette présentation générale à répertorier les rares sources écrites parvenues jusqu'à nous et susceptibles d'apporter un éclairage historique. En quelque 122 pages, ils offrent ainsi au lecteur l'essentiel de la connaissance disponible aujourd'hui sur le troglodytisme cappadocien.
Ensuite, dans la première partie du livre, les auteurs s'intéressent plus particulièrement à la région de Göreme, à ses ouvrages hydrauliques, à ses pigeonniers et ruchers troglodytiques, à certaines églises méconnues également, ainsi qu'à de nombreux refuges souterrains jusqu'alors inexplorés. Les ouvrages étudiés sont décrits avec un luxe de détails et d'illustrations, comme les souterrains-refuges défendus par des portes de pierre découverts à proximité de l'église Saint-Eustache ou celui de Kiliçlar Kilisesi. L'occasion d'apprécier l'habileté et l'ingéniosité défensive déployées par ceux qui creusèrent ces forteresses de proximité dans le tuf tendre mais résistant de la région.
Ils consacrent enfin la seconde partie du livre aux ouvrages creusés qu'ils ont pu étudier dans une région située plus au sud et beaucoup moins connue de la Cappadoce : le bassin de Sahinefendi. Parmi les églises, les établissements monastiques, les pigeonniers et les refuges creusés dans le tuf, présentés là encore en détail avec photographies et plans, on remarquera le grand souterrain-refuge s'ouvrant par des fenêtres en pleine falaise pour s'étendre sous la butte tabulaire d'Orta Tepe, un refuge de falaise communautaire qui n’est pas sans rappeler les cuevas espagnoles ou les cluseaux périgourdins.
On l'aura compris, ce livre, réalisé avec l'aide de chercheurs ukrainiens, français et turcs, figurera en bonne place dans la bibliothèque de tous ceux qui s'intéressent aux souterrains et à la Cappadoce troglodytique, au côté des ouvrages précédents de nos collègues italiens : Le Città sotterranee della Cappadocia (Erga, 1995), Cappadocia. Le città sotterranee (Libreria dello Stato, 2002) et Cappadocia, Schede dei siti sotterranei / Records of the underground sites (BAR International Series 2413, 2012).
Jérôme et Laurent Triolet, lundi 4 décembre 2023 |
30 ans d’explorations et d’études
Sur cette photographie, Jean-Michel Machefert et Laurent se trouvent en compagnie du professeur Raymond Mauny, lors d’une séance de dédicaces de Souterrains Refuges de Touraine à Chinon, le 24 décembre 1987. Spécialiste reconnu de l’archéologie et de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, Raymond Mauny mena ses recherches à l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN). Lors de ces années africaines, il côtoya bien sûr Théodore Monod qui dirigeait l’IFAN, mais aussi Amadou Hampâté Bâ. Raymond Mauny fut également l’un des pionniers de l’étude des souterrains en France. Il fait partie des fondateurs de la Société Française des Souterrains et, en 1967, avec Gérard Cordier, il publia dans le Bulletin des Amis du Vieux Chinon Souterrains-refuges, caves fortes et hypogées de Touraine.
Il y a 30 ans, en 1987, paraissait Souterrains Refuges de Touraine aux éditions de la Nouvelle République du Centre Ouest. Ce premier livre matérialisait une passion née quelques années plus tôt avec la complicité de notre ami et co-auteur Jean-Michel Machefert, alors que nous n’étions encore qu’adolescents. Sa réalisation, vécue comme un défi à l’époque, résultait de l’envie de partager notre connaissance et notre compréhension de ce que nous considérions déjà comme un phénomène de société ayant marqué les campagnes de l’Ouest au Moyen Age. Ce défi allait nous ouvrir les portes d’un monde à peine imaginable et qui n’a jamais cessé depuis de nous surprendre et de nous émerveiller. Il allait nous mener dans une quête ininterrompue et toujours renouvelée à travers la France, mais également ailleurs en Europe, en Turquie, en Afrique de l’Ouest, en Iran ou encore au Vietnam. Il allait nous entraîner dans des aventures peu communes et nous amener à rencontrer des personnages attachants et même parfois exceptionnels, nous transformant, peu à peu, en spécialistes des souterrains.
A l’occasion des 30 ans de la parution de notre premier ouvrage, nous avons décidé d’ouvrir notre album de souvenirs.
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Qui était saint Cicault ?
Les ponts de Tours, construits sur la Loire à partir du XIe siècle par le comte Eudes II, se terminaient, côté Saint-Symphorien par une arche, connue depuis le tout début du XVe siècle et jusqu’au XVIIe siècle, sous le nom d’arche de Saint-Cicault ; ceci du fait d’une chapelle bâtie sur l’avant-bec d’une pile et dédiée à un certain saint Cicault dont l’édification, tout comme celle de l’arche correspondante, aurait été financée dès l’origine par les moines de Marmoutier.
Erudits et membres de la Société Archéologique de Touraine se sont interrogés sur ce saint Cicault, également dénommé Ciquault, Cyquault ou Cycault selon les sources, soulignant son lien avec saint Symphorien, sans être en mesure d’aller plus loin.
A notre connaissance, ce saint n’a donné son nom qu’à un seul autre monument : les Caves de Saint-Sicot (Cicault en 1655, Sicault en 1657), situées à Saint-Georges-du-Bois, dans le nord de l’Anjou, quelque 70 km à l’ouest de Tours. En fait de caves, il s’agit d’un souterrain-refuge à défense active, parfaitement et intégralement préservé, une de ces nombreuses cavités creusées au Moyen Age un peu partout dans les campagnes de l’ouest et du sud-ouest de la France. C’est l’étude de ce remarquable souterrain qui nous a mis sur la piste de saint Cicault.
Saint Cicault n’apparaît pas parmi les saints populaires, imaginaires ou facétieux aujourd’hui recensés. Des études philologiques consacrées à des chansons, fables ou romans médiévaux en vers nous apprennent cependant que des invocations de saint Cicaut, (Sicaut ou Siquaut), typiquement « par saint Cicaut », se retrouvent dans quelques rares manuscrits, sans aucun autre élément permettant d’identifier explicitement ce personnage ou de préciser ses attributions. Une invocation de saint Cicaut a ainsi été identifiée dans 7 manuscrits, tous datés des XIIe-XIIIe siècles, excepté un cas plus tardif situé vers 1345. L’analyse de ces manuscrits, dont la langue et le style traduisent pour plus de la moitié une origine se situant dans l’est de la France, a conduit les philologues à discuter une possible identification de saint Cicaut à saint Sigibaldus (francisé en Sigebaut) évêque de Metz au VIIIe siècle.
L’arche des ponts de Tours reliant le bourg de Saint-Symphorien vient confirmer de façon tangible cette hypothèse. Les sources littéraires du XIIe siècle placent en effet la tombe de saint Sigibaldus et la réinvention de ses restes dans l’abbaye de Saint-Symphorien d’Autun en 1107, soit dans le siècle qui suit le début de la construction des ponts. Le saint Cicault lié à saint Symphorien semble ainsi bien être identifiable à saint Sigibaldus évêque de Metz au VIIIe siècle.
Résumé de la communication présentée à la Société Archéologique de Touraine à Tours le 18 avril 2018.
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Guerre souterraine en Algérie, 1954-1962
Durant la guerre d’Algérie (1954-1962), le monde souterrain servit de refuge et de base à un grand nombre de combattants nationalistes. Les maquisards du Front de Libération Nationale (FLN) puis les combattants de l'Armée de Libération Nationale (ALN) creusèrent des souterrains-refuges, mais ils utilisèrent surtout les innombrables cavités naturelles truffant les massifs et les plateaux calcaires du nord de l'Algérie. Ces cavernes leur offraient des implantations et des abris parfois gigantesques. Dans sa stratégie d'anéantissement, l'armée française s'engagea dans une guerre souterraine sans merci pour essayer d'extirper durablement les maquisards algériens des campagnes et des zones montagneuses où ils s'étaient implantés. Tous les moyens furent bons pour capturer ou tuer les combattants réfugiés sous terre, et pour conquérir, interdire ou détruire leurs repaires souterrains. Des commandos spécialisés dans ces combats de l'ombre furent spécialement formés, une nouvelle catégorie de chiens de combat fut créée, et des gaz furent même employés pour essayer de venir à bout des "rebelles".
Les nombreux témoignages parvenus jusqu’à nous permettent d'aborder avec une grande précision une autre facette de la guerre souterraine, celle de l'utilisation opportuniste de cavités naturelles préexistantes. Ils apportent en outre un éclairage unique sur la psychologie des combattants et des réfugiés confrontés au monde souterrain.
Résumé de la conférence présentée lors du 40e congrès de la Société Française d’Étude des Souterrains qui s’est déroulé les 20, 21 et 22 octobre 2017.
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Il y a cent ans : 16 avril 1917 Chemin des Dames (Aisne, France), les creutes font basculer la bataille
Le 16 avril à 6 heures, à la suite du barrage roulant qui commence à s'éloigner, les soldats des 5e, 6e et 10e armées s'élancent à l'assaut du plateau qui sépare les vallées de l'Aisne et de l'Ailette, sur la crête duquel court le fameux Chemin des Dames. Les tranchées de première ligne, peu défendues, sont enlevées sans difficulté, et les vagues d'assaut poursuivent leur progression, peinant dans la pente et la boue à suivre les 2 kilomètres-heure que leur impose le barrage roulant censé écraser toute velléité de résistance devant eux. Dans la précipitation et la pénombre du petit matin, les poilus ne s'attardent pas sur les ouvertures encombrées de débris qui s'enfoncent ici et là à partir des tranchées ravagées, laissant aux nettoyeurs le soin de réduire d'éventuels isolés. Ce qu'ils ignorent c'est que, tapis sous leurs pieds, massés dans les couloirs de remontée et bien pourvus en grenades et en mitrailleuses, des milliers d'Allemands attendent que leurs officiers leur donnent l'ordre de contre-attaquer ; bien protégés par des mètres de roche, ils n'ont, dans leur ensemble, pratiquement pas souffert du déluge d'obus de shrapnels et de mines qui s'est abattu en surface et sont prêts au combat… Entre 7 et 8 heures, au moment où les premières vagues d'assaillants débouchent sur le plateau, loin derrière le barrage d'artillerie qui les a distancées, l'enfer se déchaîne ; sortant de nulle part, devant, dans le dos et sur le flanc de Français en pleine progression, les Allemands mettent une multitude de mitrailleuses en batterie, massacrant les poilus de leur feu et de leurs grenades. (…) En quelques heures l'offensive est brisée, et les rares unités qui avaient réussi à s'aventurer jusqu'à la vallée de l'Ailette sont encerclées et neutralisées avant la soirée. La percée a échoué ; en l'espace de quelques heures, l'offensive victorieuse imaginée par Nivelle s'est muée en désastre, et ce sont des troupes décimées qui vont maintenant essayer de s'accrocher au plateau sur lequel elles ont réussi à prendre pied.
Extrait de La guerre souterraine, Editions Perrin, 2011, 348 p.
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Sivasa : « ville souterraine de Cappadoce »
En 1988, titulaires de visas de recherche délivrés par le gouvernement turc, bénéficiant d’une bourse du ministère de la Jeunesse et des Sports et du soutien de nombreux sponsors industriels, nous menions une expédition consacrée à l’exploration et à l’étude des « villes souterraines » de Cappadoce. Nous connaissions l’existence de trois « villes souterraines » ouvertes au public. Les plans partiels de Kaymakli et de Dérinkuyu ainsi que les quelques photographies et descriptions publiées nous avaient convaincus du caractère défensif de ces gigantesques réseaux, nous avions même relevé d’étonnantes similitudes avec les souterrains-refuges que nous étudiions alors dans l’ouest de la France. Tout indiquait qu’il existait de nombreuses autres « villes souterraines » en Cappadoce, et notre contact sur place nous avait assuré qu’il connaissait les entrées de quatre d’entre elles, des sites méconnus voire inexplorés, et il se proposait de nous y emmener. Le principal objectif de notre expédition était l’exploration, la topographie et l’étude détaillée d’une « ville souterraine » inédite.
Une fois en Cappadoce, notre guide nous a conduits dans le petit village de Sivasa (Gökçetoprak). Au pied la falaise de tuf qui s’élevait derrière les modestes maisons, parmi les blocs effondrés, accompagné de plusieurs villageois, il nous a montré l’ouverture d’une galerie. Nous nous sommes engouffrés dans l’étroit boyau, nous avons atteint une première salle, puis une autre ; couloir après couloir, salle après salle, nous avons compris qu’une exploration exceptionnelle s’offrait à nous. Le réseau s’avérait gigantesque, il y avait toujours une ouverture au fond d’une chambre qui nous emmenait vers un nouveau boyau puis une nouvelle salle. Scindé en deux équipes, notre petit groupe a passé une semaine à lever le plan de ce réseau comportant 25 salles et à faire autant de photographies que possible. Une fois ce travail achevé, des villageois nous ont emmenés un peu plus loin, toujours au pied de la falaise. Stupéfaits, nous avons découvert de nouveaux couloirs, de nouvelles meules et de nouvelles salles : juste à côté de l’immense réseau que nous venions d’explorer et de topographier, il restait encore des découvertes à faire !
Près de 10 ans plus tard, alors que nous entamions une collaboration avec l’équipe de Roberto Bixio, nous apprenions que, derrière le village de Sivasa, nos collègues italiens avaient pu explorer non pas un réseau supplémentaire, mais sept ! A Sivasa, il existe huit réseaux creusés dans la falaise, regroupant une centaine de salles, et le tout réparti sur plusieurs hectares !
L’exploration de Sivasa restera l’un de nos plus beaux souvenirs souterrains. Nous étions les premiers à étudier une « ville souterraine » intacte ; contrairement aux autres « villes » connues à cette époque, aucun aménagement récent ne l’avait dénaturée, nous pouvions observer les traces de frottement des portes de pierre, il existait même des tessons de céramiques dans certaines niches. En 1993, paraissait notre livre Les villes souterraines de Cappadoce première synthèse publiée sur la question, nous avions consacré un chapitre entier à Sivasa. Cet ouvrage est aujourd’hui épuisé et, près de 30 ans après notre exploration, il nous a semblé utile de proposer en libre accès ce texte sur Sivasa, accompagné des photographies de l’époque et du plan dans une version restaurée. Ce texte comporte sans aucun doute certaines maladresses, mais il témoigne également de l’enthousiasme suscité par cette exploration, il a au moins le mérite d’offrir une description détaillée et une modélisation de l’organisation défensive d’un souterrain-refuge exceptionnel. Pour approfondir la question, prendre connaissance de nouvelles découvertes et d’une réflexion plus aboutie sur les « villes souterraines » de Cappadoce, nous invitons tous ceux que le sujet intéresse à se reporter au chapitre que nous leur avons consacré dans La guerre souterraine paru chez Perrin en 2011 (chapitre 1 : Des villes souterraines pour échapper aux razzias pp. 15-40).
Jérôme et Laurent Triolet, le 9 février 2017
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Nouvel épisode de guerre souterraine à Gaza
En lançant cette nuit une offensive terrestre dans la bande de Gaza, Israël sait qu’il s’attaque à un ennemi pratiquant intensément la guerre souterraine et qui l’attend de pied ferme. Les multiples tunnels sous la frontière sont bien connus ; ils lui permettent de contourner le blocus de son puissant voisin pour importer des armes ou mener des attaques de commandos. Mais, sous ce territoire très urbanisé, le Hamas a également creusé, ex nihilo ou en reliant des sous-sols d’immeubles, une multitude d’installations souterraines à partir desquelles il espère bien imposer à Tsahal une « techno-guérilla » et lui occasionner de lourdes pertes. Sans parler des mines creusées sous les points de passage obligés des blindés israéliens...
Dans notre ouvrage La guerre souterraine, paru en 2011, nous concluions le chapitre consacré aux tunnels du Liban et de Gaza en dressant le bilan de l’opération Plomb durci déclenchée par Israël dans la bande de Gaza le 27 décembre 2008.
« Dès le 18 janvier, les groupes électrogènes ronronnent de nouveau près des puits d’accès dont certains n’ont semble-t-il que peu souffert, tandis que les tractopelles nivellent les zones retournées par les bombardements ou dégagent des entrées partiellement effondrées. Les plus profonds des tunnels, creusés à une trentaine de mètres sous la frontière, ont été à peine ébranlés. Ailleurs, à raison d’une dizaine de mètres par jour, les mineurs des sables dégagent et étayent des portions qui se sont affaissées sous les ondes de choc, les treuils remontant les déblais en surface dans des bidons transformés en godets. (…) Quoi qu’il en soit, les tunnels permettront toujours aux activistes de tous bords de s’approvisionner en armes et en munitions, sauf à séparer Gaza de l’Egypte en creusant un canal profond d’une vingtaine de mètres alimenté par les eaux de la Méditerranée, un tel projet pharaonique n’étant semble-t-il pas prêt de voir le jour étant donné son coût, ses conséquences sur les réserves d’eau douce de la région et la réprobation internationale qu’il ne manquerait pas de susciter. En 2010, le long de la frontière du côté de Rafah, les Egyptiens se sont mis à enfoncer des plaques d’acier jusqu’à 30 mètres de profondeur dans l’espoir d’empêcher définitivement le passage des tunnels. Est-ce vraiment possible ? » (La guerre souterraine, Jérôme et Laurent Triolet, Editions Perrin, Paris, 2011, 348 p.)
Jérôme et Laurent Triolet, le 18 juillet 2014 |
Quand l’armée chinoise nous explique le concept de souterrain-refuge : Tunnel Warfare
Durant la guerre sino-japonaise (1937-1945), les paysans chinois développèrent une guerre de résistance populaire organisée à partir de souterrains tout à fait similaires à ceux qui furent utilisés plus tard au Sud-Vietnam contre les troupes françaises puis américaines.
Sous certains villages, les chinois creusèrent ainsi des dì dào, constitués de tunnels larges de 70 à 80 cm et hauts de 1 m à 1,50 m, reliant entre elles de nombreuses salles aux fonctions variées : postes de commandement, salles à manger, chambres de repos, stockages, toilettes… Les entrées étaient dissimulées dans un puits, sous une meule, sous un foyer… Et les dì dào étaient défendus par des trous de visée (des meurtrières) prenant accès et couloirs en enfilade, des puits-pièges, des portes et des trappes pour limiter la propagation des gaz et les tentatives d'inondation…
Au début des années 1960, le dì dào du village de Ranzhuang servit de cadre au tournage d'un fantastique film historico-didactique, modélisant, sous prétexte de fresque historique, le concept de creusement et de mise en œuvre des souterrains comme instruments de résistance du faible au puissant : Tunnel Warfare. Ce film, daté de 1965, juste au début de l'engagement massif des Etats-Unis au Vietnam, constitue en fait un véritable manuel. Il explique comment creuser des souterrains, comment s’y abriter des coups de l’ennemi puis le harceler à partir du réseau ! Les similitudes avec l’architecture, les aménagements et l’organisation de la plupart des souterrains médiévaux de l’ouest de la France ne peuvent que renforcer la thèse de leur utilisation en tant que souterrains-refuges.
Résumé du commentaire de deux extraits du film chinois Tunnel Warfare (1965) présenté lors du 36e congrès de la Société Française d’Étude des Souterrains qui s'est déroulé les 5 et 6 octobre 2013 à Ribérac.
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Guerre souterraine au nord Mali ?
Les soldats français et tchadiens ont-ils eu affaire début mars à un ennemi pratiquant la guerre souterraine dans l’Adrar des Ifoghas ? Les comptes rendus faisant état de combats souterrains et de la prise ou de la fouille de nombreuses caches souterraines, de « grottes » abritant des dépôts d’armes dans la vallée d’Ametettaï au cœur de ce massif montagneux, semblent vouloir le confirmer. Ils font écho à des dépêches datant de début janvier et signalant le recrutement de main d’œuvre locale ainsi que l’utilisation d’engins de travaux publics et d’explosifs par les terroristes afin de creuser des réseaux élaborés de tunnels, de grottes, de puits et de tranchées dans le nord du Mali qu’ils espéraient ainsi sanctuariser. Comme le rapportait alors un témoin, « ils vivent à l’intérieur des rochers »… Les quelques photos et reportages vidéos disponibles à ce jour confirment en effet que, outre des grottes naturelles et des fissures sommairement aménagées et dissimulées, des ouvrages souterrains artificiels ont été creusés dans les Ifoghas. Une photographie publiée dans Le Monde et un reportage de France 24 montrent ainsi une salle de plan rectangulaire creusée à ciel ouvert dans une roche tendre de type lœss ou argile fine et communiquant par une étroite chatière en gueule de four avec un souterrain. Le soldat à plat ventre ne peut la franchir qu’en se déséquipant, confirmant si cela était encore nécessaire le rôle défensif de telles étroitures. Les traces des outils ayant servi au creusement sont parfaitement visibles sur les parois.
Il n’y a effectivement rien d’étonnant à ce que des combattants issus des GIA, du GSPC algérien ou passés par les maquis afghans aient, selon une tradition bien établie et rapportée dans notre dernier ouvrage La Guerre souterraine, cherché à se ménager des installations souterraines discrètes et résistant bien aux bombardements en prévision du conflit asymétrique avec les forces africaines et occidentales auquel ils s’attendaient. Au vu des bribes d’information qui nous parviennent, ils pourraient s’être inspirés des techniques de guerre souterraine vietnamiennes – la salle semi-enterrée précédemment décrite n’est pas sans rappeler celles que creusaient les Viêt-congs – ou des complexes souterrains creusés dans les montagnes afghanes durant l’invasion soviétique puis réutilisés contre les forces occidentales. Ils auraient ainsi établi, à l’abri du massif déjà très difficilement pénétrable des Ifoghas, une base pour partie souterraine et défendue en périphérie par de nombreux points d’appui en contrôlant les accès, ce qui en rendait la conquête particulièrement difficile et dangereuse. Nul doute donc que l’expérience de la fouille de souterrains acquise en Afghanistan par certaines unités françaises ait été d’un grand secours aux forces engagées dans l’Adrar des Ifoghas.
Jérôme et Laurent Triolet, le 6 mars 2013 (mis à jour le 2 avril 2013)
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Souterrains du Centre-Ouest en téléchargement
En 1991, avec Souterrains du Centre-Ouest, paraissait notre deuxième livre consacré aux souterrains. Pour préparer cet ouvrage, nous avions étendu notre champ d’investigation au-delà des frontières de la Touraine, étudiant et explorant des réseaux situés aussi bien dans le Blésois, le Poitou, le Berry que l’Anjou. En nous intéressant à un territoire plus vaste, nous entamions des comparaisons nous amenant pour la première fois à individualiser différents groupes de souterrains caractérisés notamment par leurs systèmes de défense, ces entités se moquaient des frontières administratives, ce qui confortait pleinement l’idée d’une étude sur une zone géographique élargie. Aujourd’hui encore, les études comparatives de souterrains implantés dans les différents territoires français nous apparaissent essentielles pour une meilleure compréhension du phénomène des souterrains-refuges et du phénomène des souterrains-annulaires.
Souterrains du Centre-Ouest est l’un de nos tout premiers ouvrages et, bien évidemment, près de vingt ans plus tard, nous ne rédigerions pas ce livre de la même manière, et tout particulièrement les textes de certaines monographies. Néanmoins, concernant ce territoire du centre-ouest de la France, bon nombre de nos conclusions d’alors restent globalement valides et nos études les plus récentes ne font que les étoffer, les affiner ou les décaler légèrement dans le temps.
Aujourd’hui, alors que depuis longtemps Souterrains du Centre-Ouest n’est plus disponible en librairie, il nous a semblé utile de permettre à tous de pouvoir le lire en ligne dans sa version d’origine.
Jérôme et Laurent Triolet, le 22 novembre 2009
Télécharger Souterrains du Centre-Ouest |
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